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PLUME FRAGILE
16 février 2008

LA JOSEPHINE

Caroline Rouvière, venait de s’installer à Caransac, petit village de Charente Maritime, afin de reprendre la boulangerie, fermée pour cause de retraite, avec son mari Jean-Pierre.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est que s’il n’y avait qu’une seule personne à qui elle ne devait pas raconter sa vie, c’était bien à la Joséphine et ses quatre-vingts printemps…

Pauvre femme que cette Joséphine ! Elle était encore toute minotte lorsque ses parents l’on mise au travail. Vous savez, à la campagne, la vie n’était pas toujours facile et il fallait choisir pour pouvoir vivre correctement. Dès le plus jeune âge, c’était les champs ou l’usine. La petite était bien maigrichonne et pour garder les vaches ou les moutons, elle ne faisait pas le poids lorsqu’il fallait rattraper le bétail. C’est pourquoi ils ont choisit l’usine de cacahuète. Dans son atelier, il fallait débarrasser les fruits de leurs carapaces rigides pour en dégager les cacahuètes afin d’en faire des gourmandises apéritives. Bien sur, tout se faisait manuellement à cette époque, ce qui représentait un travail assez fatigant car il fallait être debout toute la journée. Le salaire faisait tenir les ouvrières.

L’industriel qui implanta cette usine, était un garçon de chez nous. Parti en Amérique, il en était revenu avec cette idée, saugrenue pour nous autres, mais qui s’était avérée être un bon filon. Par le port de La Rochelle, il faisait venir les cacahuètes entières, il fallait les nettoyer, les salées, les empaqueter et les mettre sur le marché. Rien n’était perdu, les coques, il les vendait comme combustible pour les poêles et cuisinières à bois.

Pour revenir à Joséphine, je crois bien qu’elle n’avait pas treize ans lorsqu’elle commença ce travail. C’était une gentille petite agréable et malgré son manque de beauté, elle avait un charme certain grâce au sourire qu’elle arborait facilement. Elle était aimable et gaie et tout le monde l’aimait bien. L’année de ses dix-sept ans, au bal de la Saint Jean, fin juin, elle fit la connaissance d’un garçon Léon, venant de Boiscaurant. Ils se marièrent et s’installèrent dans la ferme des parents de Joséphine. Son père se faisait vieux et l’aide des deux jeunes lui était maintenant indispensable. Quelques années plus tard, à la saison des foins, une charrette pleine de ballots se renversa tuant son père et son Léon. Sa mère ne se remit pas de cette catastrophe et succomba à son tour de chagrin. Joséphine retourna travailler à l’usine et vint s’installer dans une petite maison au bord de la place du village. Elle en voulu à la terre entière de tous ces malheurs et se mit à guetter les faits et gestes de chacun ainsi qu’à médire sur tout le monde.

Donc, Joséphine avait bien remarqué que Caroline se rendait souvent chez Dominique Béranger, la quincaillière. Cela ne l’avait pas étonné au début puisque la boulangerie se mettait en place, mais petit à petit, elle avait trouvé ces visites suspectes. Ce qui l’avait intriguée, c’est qu’après quelques semaines Caroline passait par la porte arrière de la boutique de Dominique. Il n’en fallait pas plus pour que Joséphine commence sa chasse aux commérages ! Elle se mit à espionner les deux femmes. Un jour alors qu’elle se rendait à la quincaillerie, avant d’entrer, elle regarda par la fenêtre. Elle vit Caroline et Dominique enlacées dans l’arrière boutique dont la porte n’était pas complètement fermée ! Voulant être sure de ce qu’elle avait entre aperçu, elle décida de poursuivre ses investigations en filant les deux femmes.  Elle était aux anges, elle allait pouvoir raconter cela à tout le monde ! Elle avait découvert le secret de la boulangère : Caroline était homosexuelle ! Quelle aubaine que ce soit elle qui s’en soit aperçue la première ! Quelle joie de pouvoir cancaner sur son prochain ! Mais elle n’était pas au bout de ses surprises… Le lendemain, riche de cette information, Joséphine partie discrètement à la suite de Dominique, sur le sentier du Bois de la Misère. Elle la suivit pendant presque trois quarts d’heure et ses vieilles jambes commençaient à renâcler car la cadence de la quincaillière était assez soutenue. Elle ne fut pas déçue ! Elle fit, là, au bord de l’étang de la Marquise, la découverte la plus extraordinaire qu’elle pouvait imaginer. Comme Joséphine le pensait, Dominique retrouva Caroline qu’elle embrassa fougueusement. Puis elles se mirent à rouler dans les herbes hautes et enfin finirent par se dévêtir pour aller se baigner nues. Caroline était de face et Dominique de dos. La Joséphine n’en perdait pas une miette ! Elle n’en croyait pas ses yeux et le summum fût lorsque Dominique se retourna ! D’étonnement Joséphine s’écroula dans le fourré.

Caroline et Dominique se rhabillèrent en hâte et se précipitèrent vers l’endroit d’où provenait le bruit qu’elles avaient entendu. Elles aidèrent Joséphine à se remettre de ses émotions. Alors que Joséphine se relevait pour partir en courant Caroline l’attrapa et lui dit en pleurant toutes les larmes de son corps :

« Ne le dite à personne que Dominique est… un homme !

L’histoire ne dit pas si Joséphine réussit à tenir sa langue !

Le 9 février 2008 – Brigitte Gueunier - Plumefragile

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